VAPE SHOP : BACK TO THE ROOTS
Ma visite récente au Bar & Vape, un shop indé de Quimper, m'a replongé dans l'essence des premières boutiques du début des années 2010 : cette culture vivante de la vape, portée par des passionnés.
Dans ce magasin excentré survivent ces valeurs qui se diluent ailleurs : le temps suspendu, l'échange véritable, la transmission.
Aux frontières de l'authentique
Ce shop aux allures de hangar industriel avec ses bardages métalliques rouge et gris, loin des devantures léchées du centre-ville, est tenu par une tribu de Robinsons autonomistes.
À l'intérieur, les murs en OSB brut et le comptoir en briques apparentes racontent une histoire de passionnés plutôt qu'une stratégie merchandising.
L'accumulation organique des flacons sur les étagères témoigne d'une approche qui privilégie l'authenticité à la mise en scène.
La boutique conserve une atmosphère à part, loin des standards lissés des franchises.
C’est un refuge, un sanctuaire pour ceux qui cherchent à redécouvrir la vape sous sa forme la plus authentique.
Le temps suspendu
En poussant la porte, je retrouve l’essence d’une pratique artisanale : le temps ralentit, l’échange prend une nouvelle dimension.
Ici, pas de chronomètre invisible, pas de pression commerciale qui pousse à écourter l'échange.
Les vendeurs prennent le temps nécessaire pour situer le client et ses attentes, affiner leurs conseils et dévoiler de nouvelles perspectives.
Arrivé au comptoir, face à l'un des membres de la team Robinson, un colosse impassible d'1m85, j'ai ressenti cette même timidité maladive, cet étrange sentiment de malaise qui m'avait étreint lors de mes premières visites dans le shop parisien où mon tour du Monde de la vape a débuté.
Ces rencontres sont toujours déstabilisantes au début.
Le gars est là, avec sa grosse barbe noire, ses piercings et son t-shirt stoner, sans faux-semblants ni ostentation. Il attend simplement que vous fassiez le premier pas, que vous expliquiez ce que vous cherchez.
Car ces gens ne sont pas de simples vendeurs en uniformes, ce sont des aidants qui prennent soin de vous.
Les années Rough Trade
Me voici projeté 12 ans en arrière, dans ce shop parisien qui était plusieurs lieux en un - un Rough Trade des vapoteurs. Derrière le comptoir de son souk des mille et une saveurs, Medhi faisait chauffer les drippers, organisant des dégustations marathon. Plus que commerçant, ce collectionneur compulsif avait transformé son mur de liquides en une affiche vivante : signatures du moment, productions malaisiennes, bangers de la french touch, blockbusters US. On entrait dans la boutique comme un digger face aux bacs vinyles de son disquaire indé. Et c'est ainsi que, sans que je ne m'en rende vraiment compte, je suis peu à peu sorti de ma zone de confort gustative.
L'esprit des pionniers
Avec ses codes, ses rituels, son jargon, son côté custom et DIY, ses niveaux débutant, moyen et expert, cette vape me faisait vraiment penser aux grands mouvements de la contre-culture américaine, à la scène alternative anglaise ou berlinoise.
À l'image des Hells Angels, confrérie outlaw née de la vision d'un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, qui fit de la Harley Davidson non plus une simple moto mais un totem sacré, un étendard de rébellion, une philosophie de vie autour de laquelle s'est tissé le mythe des anges de l'enfer.
Dans leur sillage, les gangs de custom bike ont réinventé le vélo.
Des deux-roues à pédales métamorphosés en low riders extravagants, leur usage premier transcendé au profit d'une nouvelle identité culturelle.
Même alchimie chez les Mods anglais et leurs Vespas constellées de chrome, comme dans le vaste mouvement de la kustom culture.
Ces courants underground sont autant de creusets où convergent fans et passionnés, collectionneurs et initiés, tous animés d'une même quête : s'emparer d'un objet du quotidien pour en redéfinir le sens, le détourner de sa vocation première et lui insuffler une dimension nouvelle, avec des rituels et des codes, marqueurs d'une appartenance revendiquée.
La vape suit cette même trajectoire.
D'outil thérapeutique, elle s'est métamorphosée en objet culturel initiatique. Entrer dans cette communauté se mérite : cela demande patience et progression. Ici, l’entraide et le partage sont essentiels, permettant à chacun de découvrir « sa vape. »
La vape c’est comme la moto. Tout le monde peut en piloter une, tout le monde peut avoir une Harley mais très peu peuvent devenir membre des Hells Angels et porter les couleurs du club.
Chasseurs de saveurs
Alors oui, à chaque fois que je pousse la porte d'un vape shop, je porte en moi cet espoir secret, presque enfantin, de découvrir une nouvelle perle rare.
De me retrouver nez à nez avec le prochain Mehdi.
Cette quête n'est pas simplement celle d'un nouveau liquide - c'est la recherche d'une émotion, d'un moment de grâce.
C'est partir à la rencontre des créateurs, des artisans, des rêveurs, des grandes signatures, des résistants.
Ce qui m'a particulièrement marqué au Bar & Vape de Quimper, c'est la préservation de ce pilier fondamental de la culture vape : la dégustation en boutique.
Le vendeur y prépare soigneusement son dripper, transformant l'acte d'achat en une exploration guidée des saveurs.
Ce rituel crée une connexion, ouvre le dialogue, fait de la boutique un lieu de partage plutôt qu'un simple comptoir commercial.
L'alchimie des sens
"Tu connais Le Petit Verger?" me lance la fille aux allures de Tank Girl.
La gamme est là, alignée sur les étagères. Bien sûr que je la connais, mais uniquement pour l'avoir snobée à maintes reprises.
Je l'ai aperçue, je pense, chez Le Petit Vapoteur, ailleurs encore, toujours avec ce même a priori : encore une énième gamme de fruités, des duos de fruits vus et revus, des recettes au goût vite fait mal fait.
Une déception potentielle, vingt balles jetées par la fenêtre.
C'est ce que j'explique à la vendeuse, lui confiant mon scepticisme envers les liquides fruités dont j'ai vapé des litres sans en garder de grands souvenirs.
Trop de déceptions, trop d'approximations, trop de trucs bas de gamme.
Elle m'écoute, hoche la tête : "Tu aimes la fraise ?"
" Non, je déteste ça. À chaque fois que j'en ai goûté, j'ai trouvé ça grossier."
"Ok, ok. Tu connais la figue de barbarie ? "
Non plus.
"Bon écoute, tu veux bien goûter ?"
La question me prend au dépourvu.
Goûter ? Dans un vape shop ?
Elle ne perd pas de temps, prépare déjà méticuleusement un dripper.
Et voilà qu'elle me tend sa machine à tripper.
Une bouffée. Une seule. Et c'est le flash. Instantané. La révélation.
Avec ces deux fruits seulement - cette fraise que je déteste et cette figue de barbarie que je ne connais pas - les créateurs de Savourea réussissent l'impossible.
Mon palais se transforme en temple des délices, une cartographie de saveurs se dévoile dans ce ballet aérien, cette kundalini tissée dans l'union libre de ces deux fruits qui paradent, se cherchent, s'enroulent dans un kama sutra charnel. Comment ont-ils fait ?
Comment ont-ils réussi à orchestrer cette partition avec si peu de notes ?
Ce liquide entre directement dans mon top de l’année, catégorie All Day.
Je reviens brutalement à la surface.
Quelques secondes à peine se sont écoulées, durant lesquelles je me suis absenté sous le regard mi-amusé mi-attentif de ma nouvelle Tour Operator.
En me parlant de cette gamme en particulier, c’est en réalité une invitation qui m’a été faite et que je ne pouvais tout simplement pas refuser.
Dans ce paysage standardisé, Le Petit Verger fait figure d'exception.
Pas d'excès d'arômes ni de mélanges compliqués.
Les designers de saveurs de Savourea maîtrisent l’art discret de faire naître une alchimie, où deux saveurs s’unissent pour créer quelque chose de plus grand.
C’est ça, l’essence de ces vape shops : des lieux où l’émotion dépasse l’acte d’achat. Chaque découverte y devient un instant précieux.
Le grand formatage
Mais cette expérience soulève aussi un problème fondamental dans le monde actuel de la vape : la différence entre les shops indépendants, les réseaux d’enseignes et de franchises.
Des mois durant, je suis passé devant cette gamme dans différentes boutiques d’enseignes, sans qu'aucun vendeur ne me la recommande.
Pourquoi ?
Simplement parce que dans ces boutiques formatées, les vendeurs sont souvent limités par des contraintes commerciales et manquent de liberté et de moyens pour explorer et partager leur passion.
Dans une enseigne comme Le Petit Vapoteur, l'authenticité n'est plus qu'une mise en scène calculée : du comptoir en bois aux fresques murales vintage, tout est calibré pour singer l'esprit des origines.
Le client y est quasiment chronométré - dix minutes montre en main pour un ticket moyen de 24 euros.
L'offre, segmentée avec une précision mécanique, transforme l'aventure en catalogue, la passion en nomenclature.
Là où les indépendants cultivent une jungle féconde, ces franchises dessinent un jardin à la française où chaque découverte est planifiée d'avance.
Une flamme à préserver
Mais réduire ce constat à une simple opposition entre franchise et indépendants serait une erreur.
Ce qui se joue en profondeur, c'est une mutation de la culture vape elle-même.
L'arrivée des pods et la standardisation des pratiques ne répondent pas à une demande naturelle des utilisateurs - elles imposent une expérience préformatée, catégorisée, verrouillée.
Cette industrialisation du plaisir, cette normalisation de la découverte, menacent l'essence même de ce qui faisait la richesse de notre communauté.
Car au-delà des aspects commerciaux, c'est toute une culture de l'expérimentation et du partage qui risque de disparaître.
Face à cette standardisation rampante, des lieux comme le Bar & Vape font figure de bastions de résistance.
Non par posture ou par opposition systématique, mais par fidélité à une certaine idée de la vape - celle d'une pratique vivante, évolutive, profondément humaine.
Bar & Vape
118 Rue de Bénodet,
29000 Quimper
02 29 40 87 16
⚠️ Le vapotage est une aide au sevrage tabagique.
Ne vapotez pas si vous ne fumez pas.
Le Vapotage est une Transition vers une Vie Sans Tabac puis Sans Dépendance à la Nicotine.
