L’Héritier de la Flamme : Chronique d’une Vape Captive – Dans Les Nuages

L'HÉRITIER DE LA FLAMME

L'HÉRITIER DE LA FLAMME

PÉKIN 2001
LE CHAGRIN QUI CHANGE
LE GAME

Pékin, 2001. Hon Lik tire sur sa cigarette dans une ruelle où l’odeur de friture se mêle à la poussière, la gorge râpeuse, le cœur lourd. Dans sa tête, le spectre de son père, rongé par un cancer du poumon, tué par le tabac, murmure sans relâche.
Ce pharmacien, fumeur à deux paquets par jour, n’est pas un prophète, mais un homme hanté par la mort, porté par un espoir têtu : ne pas crever comme son père, et conjurer ce sort pour d’autres.

Dans un carnet usé, il griffonne une idée, née du chagrin et de la rage : un appareil qui vaporise un liquide, qui restitue le geste de la cigarette sans la combustion, sans les cendres, sans la mort lente.
En 2003, il donne vie à la Ruyan, un tube de plastique modeste qui crache des nuages timides, mais qui fonctionne.
Pour Hon Lik, ce n’est pas qu’un objet.
C’est un serment, un acte d’amour, une flamme offerte au monde, une réponse au ravage du tabac.

Autour de lui, Pékin pulse, Internet bourdonne. Dans les cybercafés enfumés, une génération rêve d’un réseau global, horizontal, d’une page vierge où s’écrirait un monde nouveau.
Ils ignorent que cette toile porte déjà l’ombre d’un autre dessein.
Dans l’ombre, des titans sans nom – portails géants, boutiques sans murs – tissent un filet où chaque désir sera capturé, chaque âme un pion dans une économie vorace.

Hon Lik ne le sait pas, mais sa flamme, forgée dans ce Pékin rugissant, sera un jour engloutie par un Léviathan.

Ce que je vais raconter, c’est l’histoire de cette flamme, de sa capture par un système phygital qui fusionne boutiques et écrans, et de la braise qui brûle encore, dans les brèches, dans les objets, dans les gestes.

BRETAGNE 2025
LE TÉMOIN QUI SENT LA MENACE

Vingt-quatre ans plus tard, je suis quelque part en Bretagne, face à mon écran, méditant sur ce moment à Pékin où un pharmacien modeste a allumé une flamme avec une intention pure.
Je suis aussi cet homme qui a cru à l’utopie d’Internet en 2001, à cet espace libre, aux valeurs du Web 2.0, à l’intelligence collective, au savoir partagé.
Et me voilà, témoin d’une métamorphose : la technologie, jadis promesse d’horizon, s’est muée en un filet omnicanal, tissé par des acteurs privés, qui transforme chaque geste en donnée, chaque désir en transaction. 

Facebook s’est érigé en empire silencieux qui a étouffé le web et englouti l’humanité.
Un réseau de sept milliards de solitudes interconnectées, où des âmes vives ont consumé des milliers d’heures à sculpter leur moi numérique, croyant forger leur singularité quand elles engraissaient l’algorithme. 

Dans cet espace, une alchimie sournoise s’opère : les mots lus s’insinuent comme vôtres.
Les opinions s’alignent.
La colère s’étalonne, les émotions sont réduites à l’état d’émojis.
Et le pire surgit : l’autocensure.
Une passivité imposée, une parole bridée sous le joug des « standards de la communauté », décrets algorithmiques d’une morale normative d’outre-Atlantique, qui proscrit, efface, exile.
Cette ombre censoriale, omniprésente, atrophie le réflexe intellectuel, ouvre un boulevard au slop, ce déluge de contenus sans substance, sans forme, sans vérité, qui noie l’individu dans une distorsion perpétuelle. 

Isolé dans ses bulles de filtres, il abdique son libre arbitre, son sens critique, sa faculté à déchiffrer le réel.
Il ne voit plus, ne sait plus ce qu’il pense, ne pense plus ce qu’il sait, jusqu’à ce que le slop stérilise toute analyse, toute expression, ne laissant qu’un pion englué dans un réel improbable, soumis à un flux incessant de contre-sens, de réorchestration du réel, dans un monde post vérité.

À partir de là, deux chemins pour la technologie : libérer ou asservir.
D’un côté, je suis cet homme que la cigarette électronique a sauvé, libéré du tabac, révélé à lui-même.
De l’autre, je vois comment l’industrie Tech et les GAFAM ont rendu les gens impuissants, inaudibles, dévitalisés. 

Pour comprendre, il y a une clé : le changement d’échelle.
Quand une pratique passe de l’artisanat à l’industrie, elle change de nature. 
Ce n’est pas qu’une question de volume. 

C’est une refonte de l’objet, de l’expérience, de l’intention.
Pour devenir un produit de masse, il faut une offre stable, normée, reproductible – une expérience sans apprentissage, sans risque, sans altérité.
Une expérience domestiquée.

Je l’ai vue, cette bascule.
Mon beau-fils, trente-deux ans, architecte.
Il sort une e-cigarette.
Je lui demande ce qu’il vape. Il ne sait pas.
Ni la marque, ni le goût, ni le dosage.
Il ne sait même pas si c’est bon.
Il ne pratique pas la vape. Il utilise un objet.
Et cet objet n’est pas une promesse.
C’est une discipline. Un palliatif. Une habitude.
Un pis-aller.

Voilà le nouveau vapoteur.
L’utilisateur standard.
Celui à qui on a vendu la cigarette de l’ennui, façonné par la même logique
qui produit l’internaute stérilisé par le death roll.
Il est parfait pour l’industrie : il ne demande rien, ne dérange pas,
consomme ce qu’on lui donne.
Le cercle est bouclé.
Il n’y a plus de marge.
Plus d'accidents.
Plus d’élévation possible.

Et pour servir ce consommateur, l’industrie a créé un écosystème phygital, un espace commercial qui lui ressemble, une machinerie qui le rassure,
un parcours qui l’encadre sans jamais le bousculer.

Ces lieux sont silencieux, et leur silence est d’or car c’est le murmure qui annonce la capture totale.

LE CHEVAL DE TROIE

Pas de musique. Pas d’odeur. Pas de surprise.
Pousser la porte d’une boutique du Petit Vapoteur, c’est entrer dans un espace
où le physique et le numérique fusionnent en un seul filet.
Ces 95 boutiques ne sont pas des commerces, mais des rouages d’un réseau omnicanal : un décor épuré, une lumière diffuse, un parcours fluide relié par un fil invisible au site e-commerce, aux newsletters, aux posts Instagram. 

Tout est calibré pour glisser vers l’achat, sans accroc, sans turbulence.
C’est une expérience client lisse, un sas pour consommateurs dévitalisés,
où l’on consomme sans apprendre, où le désir s’éteint dans la facilité.


Ces boutiques forment un maillage sur le territoire, des terminaux standardisés d’une architecture pensée à l’échelle industrielle. 
Elles fonctionnent en flux tendu, sans stock superflu, optimisées pour une logistique qui ne tolère ni hasard ni altérité.
Ce n’est pas un lieu de proximité, mais une interface, un décor en contreplaqué
où tout est écrit, fini, tracé, mesuré.

Cette expérience est l’exact opposé des premiers vape-shops que j’ai connus,
en 2011, 2012, 2013.
Ces lieux étaient des zones de turbulence, des terra incognita, des déflagrations sensorielles.
On y entrait comme dans une aventure.
On y goûtait l’étrange, on y découvrait l’audace, on y apprenait une langue.
On y prenait le temps.
Le temps était un pilier de ces vape-shops originels.
On pouvait y rester des heures, dans ces laboratoires de culture,
ces espaces de lenteur, d’exploration, de conversation.
Ce temps donné était un temps pour tous, pour comprendre, pour ressentir,
pour s’initier. 

Les boutiques d’aujourd’hui sont des safe spaces, des zones de transit,
des sas d’accueil pour consommateurs standardisés, où le temps est compté,
où l’échange est une friction à minimiser mais toujours avec le sourire.
L’industrie a forgé une expérience client sans aspérité, un voyage immobile.

Un atterrissage, jamais un décollage. 

Ce que le client perd, dans ce confort sans secousse, c’est la possibilité de devenir autre. 
Le goût ne s’apprend plus.
Le choix ne se construit plus. 
Le vapoteur n’est plus invité à s’élever. 
Il est une cible, capturée dans un flux sans fin, un pion sur l’échiquier phygital où chaque geste est anticipé.

LE BOMBARDEMENT SILENCIEUX

Un autre front, moins visible, tout aussi redoutable : la communication. L’industrie de la vape ne parle pas, elle infiltre.
Elle ne convainc pas, elle conditionne.
Les newsletters du Petit Vapoteur sont une horlogerie de marketing automation, où chaque mail, chaque remise à -25 % sur les résistances, chaque image vintage est un rouage qui reconditionne le vapoteur. 

Ce sont des nudges : des coups de coude invisibles qui vous poussent à acheter,
à cliquer, à obéir sans vous en rendre compte.
Trois mails par mois, toute l’année, et votre calendrier mental s’aligne
sur leurs promotions, comme si votre désir n’était plus le vôtre.

En parallèle, un réseau d’influenceurs opère, dans un écho à la saturation qui submerge les réseaux sociaux.
Ce sont des gens comme vous et moi. Ils sont approchés directement par les marques, flattés, séduits.
On leur envoie des nouveautés gratuitement. 
Mais ce qu’ils publient n’est pas une opinion, c’est une répétition,
un affichage commercial calqué sur les réseaux où l’attention s’épuise
sous un déluge de contenus lisses.
Une fiole dans une main, un pod devant un tag, une box sur un muret au soleil couchant.
Ce n’est pas de l’expression, c’est de l’affichage, un protocole visuel standardisé. 
Ils reçoivent leurs produits au même moment, postent au même moment, inondent les réseaux sur deux ou trois jours. 

C’est un effet de souffle, une offensive blitzkrieg qui sature l’espace numérique.


L’industrie a compris les réseaux sociaux : l’attention ne dure plus, le scroll est roi, le feed est une jungle sans mémoire.
Alors elle reproduit ses logiques : des cycles courts, des stimuli répétitifs,
une occupation massive de l’espace, une esthétique neutre qui glisse
sans accrocher.
Ce slop commercial, ces images et textes formatés pour l’algorithme,
ne cherche pas à dialoguer, mais à occuper, à conditionner. 

Ce n’est plus de la communication, c’est un programme, une machinerie qui aligne les gestes et les désirs dans un filet omnicanal.

Et dans ce théâtre d’ombres, une ironie cruelle : la vape conserve son aura originelle, celle de libérer du tabac.
Ces enseignes revendiquent cette éthique avec fierté, drapées dans une vertu qui masque leur dessein. 
Mais derrière cette façade se cache un cheval de Troie. 

Le vapoteur est libéré du tabac, certes, mais pour être soumis à une consommation récurrente, prévisible, calquée sur des cycles commerciaux implacables. 
Ce n’est pas une libération, c’est une capture, une soumission esthétique où le souffle devient une donnée, le geste une transaction,
dans un flux qui brouille le sens.

L’ARCHIPEL DES TRIBUS CAPTIVES

Il fut un temps où la vape était une seule communauté, ouverte, poreuse, vivante, une tribu sans frontières où les pionniers partageaient savoirs et audaces dans les vape-shops indés. 
Ce modèle tribal, fait d’échanges horizontaux et d’exploration collective,
faisait écho aux premières communautés du Web 1.0 – ces forums,
ces listes de diffusion où des internautes anonymes forgeaient des liens
sous des bannières d’idées, sans chef, sans clôture. 
Avec l’avènement du Web 2.0, celui de la lecture-écriture, ces tribus se sont dissoutes dans un espace numérique fluide, où chacun devenait créateur, commentateur, spectateur, mais où l’unité se fragmentait, diluée dans un flux participatif sans centre.

Aujourd’hui, la communauté vapoteuse s’est reformée sous une autre forme, capturée par l’architecture de Facebook.
Ses groupes fermés, ces îlots numériques, ont reconstitué des tribus, mais des tribus sous contrat tacite, verticalisées, "administrées". 
Pourtant, ces espaces vibrent encore d’une vitalité paradoxale.

La vape du quotidien s’invite partout, déployée dans les salons rustiques ou les appartements ikea des grandes villes.
Elle accompagne les moments simples : une balade avec le chien, un apéro entre potos, ou un barbecue dominical.
Ces posts et photos témoignent d’une culture vivante, celle des travailleurs, des employés modestes, des villages et des villes, où le souffle rythme le labeur et le repos.
Ils révèlent une joie sans fard, saisie au smartphone, où l’intention prime sur l’esthétique.
Certains dévoilent une passion exigeante, portée par des collectionneurs qui investissent temps et argent.
Ces passionnés exhibent leurs setups avec fierté.
Ils s’enflamment pour un clearomiseur ou une pièce rare, chipotant amicalement sur les moindres détails.
D’autres, hédonistes, mettent en scène des moments d’exception, mariant un rhum vieilli ou un whisky tourbé à une saveur choisie avec soin, dans un temps suspendu, consacré au plaisir.
Ces refuges perpétuent une flamme : débutants et vétérans s’entraident, tandis que les experts du méca, gardiens d’une rigueur technique implacable, rappellent la loi d’Ohm aux imprudents.
Ils soutiennent aussi artisans et créateurs par leur fidélité à des marques et liquides totémiques.

Mais ces îlots sont aussi des enclos.
Chaque groupe forme une micro-société, un clan numérique sous un blason – un nom, une bannière, un drapeau – porté par des gatekeepers, administrateurs vigilants qui contrôlent ce qui entre, ce qui sort, ce qui circule. 

Ils veillent à ce que rien ne brise le cercle – ni lien externe, ni curiosité déviante, ni voix dissidente. La parole n’est libre qu’à l’intérieur d’un cadre codifié, où le partage, célébré, dissimule une étanchéité.
Ces tribus, nœuds de quelques milliers ou dizaines de milliers de membres, s’organisent sous l’égide d’administrateurs multi-plateformes – YouTube, Instagram, événements live – qui orchestrent les échanges, calibrent les discussions, définissent l’acceptable. 

Chaque groupe devient un laboratoire vivant, un terrain d’observation où s’entrelacent profils et pratiques.
Loin d’une cartographie froide, l’industrie y explore la vape dans sa chair sociale – une mosaïque de catégories françaises, des travailleurs modestes aux passionnés hédonistes, dont les dialogues, posts, et commentaires tissent des choix, des réputations, hors du contrôle absolu des marques. 

Cette exploration, subtile, s’opère à vil prix : une économie agile, sans achat d’espace ni coûts engageants, où l’envoi de matériel à une poignée d’influenceurs et des lots de nouveautés pour des concours touche des dizaines de milliers d’âmes. 

Ces gestes, si légers, capturent les échanges, muant ces refuges en bases de données à ciel ouvert, des constellations de désirs profilées, segmentées par leurs aspirations, prêtes à être orientées par un marketing pair à pair, qui sait l’art de l’influence sans jamais la garantir.

Dans ces enclos, le contenu suit un rituel immuable : découvertes programmées, questions techniques encouragées, mais toujours dans le cadre, jamais au-delà.
La technique survit, vestige de la tribu originelle, mais l’horizon s’est rétréci imperceptiblement. 

C’est là que les influenceurs, en essaims, déploient leurs offensives, submergeant les groupes de posts sur la dernière nouveauté reçue.
Ces soi-disant leaders d’opinion, souvent mus par l’ego et la concurrence, exhibent plus qu’ils n’analysent, paradent plus qu’ils ne critiquent, armés de textes génériques, parfois forgés par intelligence artificielle – prose lisse qui ne trompe que ceux qui veulent l’être. 

Le dialogue devient monologue commercialisé, un cheval de Troie dans le filet phygital.
Les tribus des grandes enseignes, comme Le Petit Vapoteur, poussent plus loin cette logique : un community management orienté vers la transaction, stimulant l’adhésion, la satisfaction sans réserves, plus rarement l’expression ouvertement critique.
Le vapoteur n’est plus un pratiquant, mais un client dont on mesure la fidélité. 

Des figures d’autorité émergent par leur fréquence ou leur expérience. Mais la flamme technique de ces mentors old school, celle du reconstructible notamment, ne réchauffe qu’un cercle restreint, dans un espace modéré en amont. 

Ce n’est plus une agora, mais une galerie marchande compartimentée, un archipel de tribus captives, où chaque blason cache possiblement un contrat.

LES STRATÉGIES OBLIQUES
QUAND LA CONTRAINTE DEVIENT MÉTHODE

Tout ceci découle d’une cause plus profonde : l’arsenal réglementaire qui encadre strictement la vape.

Privées des canaux classiques de communication – publicité télévisée, affichage, sponsoring –, les marques ont dû apprendre à parler autrement.
Et ce qu’elles ne peuvent plus dire, elles le suggèrent.
Ce qu’elles ne peuvent plus afficher, elles le laissent deviner.
Ce qu’elles ne peuvent plus imposer, elles le font désirer.

C’est la logique des stratégies obliques : détourner la contrainte pour inventer une communication implicite, plus insidieuse, plus douce – donc plus efficace.

Un flacon au design épuré devient un objet de style.
Un influenceur qui « découvre » un nouveau pod devient une vitrine émotionnelle.
Un événement privé réservé aux initiés devient une micro-société parallèle où se fabrique le désir.

Le problème central est là : les marques n’ont pas le droit de présenter la vape comme une source de plaisir. 
Sous la surveillance constante des lobbies anti-vape, la moindre suggestion que cette technologie puisse libérer du tabac tout en procurant de la satisfaction serait immédiatement sanctionnée. 

Le plaisir dans la vape est devenu un sujet tabou. 

Alors les marques, condamnées au silence officiel, laissent les influenceurs exprimer à leur place cette dimension hédoniste, pour échapper à la censure et aux amendes d’un système répressif.
Mais cet évitement a un effet pervers profond : la vape se contente de montrer au lieu de raconter. 
Son problème est sa surface. 

Les influenceurs, limités dans leur discours, répètent inlassablement les mêmes mises en scène visuelles : un produit à côté d’un mur de street art, une fiole photographiée dans un parc, une box posée devant un soleil couchant. 

Ces archétypes visuels, reproduits à l’identique par tous, deviennent une langue appauvrie, un vocabulaire restreint qui tourne en boucle.

En se contentant d’exhiber ses produits dans des décors stéréotypés,
la vape a perdu le contrôle du narratif. 

Elle ne raconte plus, elle montre. 
Elle ne construit plus, elle expose. 
Elle ne convainc plus, elle répète. 
Elle travaille sur la seule reproduction de séquences visuelles qui reprogramment les utilisateurs sur un registre limité d’émotions prévisibles.

Ces stratégies obliques sont partout. 
Elles ne provoquent pas : elles séduisent. 
Elles ne vantent pas : elles mettent en scène. 

Ce ne sont plus des arguments, ce sont des mises en situation affectives. 
Et leur efficacité tient à ceci : elles respectent la loi tout en la contournant. 
Elles créent une forme de communication hors-champ, dans les interstices. 
Là où le vapoteur croit avoir le choix, il est en réalité placé dans une disposition affective favorable, une posture guidée, scénarisée, calibrée.

Ces méthodes sont nées de la contrainte. 
Mais elles sont devenues un mode opératoire à part entière. 
Dans un monde saturé de règles, l’ambiguïté est devenue un capital stratégique,
un levier pour façonner l’âme du vapoteur..

VAPERZ CLOUD
LES ARTISANS DU BROUILLARD

Et pourtant, il y a une brèche. Vaperz Cloud, une anomalie, née dans le circuit alternatif des compétitions de cloud chasing, des mods mécaniques, des vapes extrêmes.
Une esthétique entre forge médiévale et atelier cyberpunk.
Brut, dense, construit pour durer, sans ambition de séduire le plus grand nombre.


Et pourtant, ce nom ressurgit dans l'une des vitrines du Petit Vapoteur de Quimper. 
Un éclat de braise dans un rayon de LED.
Un objet qui ne crie pas, ne flatte pas, attend d’être compris.

Quand je prends le Shift Subtank en main, tout change.
Ce n’est plus un achat, c’est une rencontre.
Poids. Matière. Tension. Équilibre.
Ce clearomiseur, assorti à la box Ascent Lite, forme un duo qui se tait, mais parle aux doigts, à l’expérience, à l’histoire.

L’Ascent Lite : boîte noire mate. Rien ne brille, rien ne dépasse.
Un bloc de nuit, dense, équilibré, rigoureusement usiné.
Pas de LED, pas de gimmick.
Deux accus, un écran discret, trois boutons.
Pas d’assistance inutile, juste la puissance, maîtrisée.

Le Shift Subtank : un tank simple, vertical, 5 mL.
Remplissage par le haut, airflow ajustable, résistances plug & play.
Rien d’inutile, tout est pensé.
À 50 watts sur un double citron, il chante.
Le citron est vif, acide, précis.

Le Shift ne fait pas de fanfare. 
Il restitue. Il incarne. Il fait exister la saveur telle qu’elle doit être.

Dans l’empire de la standardisation, au cœur du flux, entre deux promos à -30 %, cet objet résiste.
Il porte une authenticité narrative, celle d’un outil pensé, forgé, habité par une intention. 
Là où les boutiques standardisées vendent des produits, cet objet propose une intimité, un dialogue avec celui qui sait l’écouter.
Ce setup n’est pas une série, c’est un message : la vape peut encore être une pratique, un engagement, une exigence, une braise.

UNE TENSION PRODUCTIVE

Quand tu visses le Shift sur l’Ascent Lite, une densité s’installe.
Le poids combiné, leur équilibre parfait, impose un rythme. 
Ce n’est pas un objet à manipuler à la légère. 
C’est une machine sobre, un outil sérieux. 

Tu le saisis avec attention, par respect, comme on tiendrait un Leica ou une arme. Il y a quelque chose de solennel.

Ce setup n’a rien à faire dans une vitrine calibrée pour la consommation passive. 
Il ne clignote pas, ne promet rien, ne facilite rien. 

Il propose une chose simple : être là, solide, fiable, précis.
Un outil de présence.
Mais il est là, parce qu’un vendeur, ce jour-là, a senti qu’il pouvait me le montrer.
Il ne m’a pas vendu un produit.
Il m’a tendu une possibilité.

Je le vis comme un contretemps, un sursaut, une résistance passive
à l’uniformisation.
C’est une anomalie, mais aussi une preuve : même le flux omnicanal peut contenir une faille.
Et dans cette faille, une âme peut passer, une flamme peut scintiller.

Trois semaines.
Chaque jour, ce setup est là.
Le double citron claque toujours. 
La box ne surchauffe pas.
Il n’a pas d’effet waouh, pas de spectacle. 
Il est là, il m’accompagne. 
Il ne vole pas la vedette, ne réclame rien. 
Il laisse la vape s’exprimer : les arômes, le souffle, la pause. 
C’est un outil de présence, un objet de continuité, une main tendue.

Et le paradoxe me saute aux yeux : cet objet, né de la passion, de l’ingénierie artisanale, atterrit dans un temple du massmarket. 

Il survit dans un écosystème conçu pour l’écraser, parce qu’un vendeur, payé 1 700 ou 1 800 € par mois, a fait un pas de côté, a osé proposer quelque chose hors du script commercial. 
Cette rencontre, entre un objet artisanal et un système industriel, est une tension productive, une magie fragile qui prouve que tout n’est pas encore verrouillé.

UNE OMBRE PERSISTANTE
RÉFLEXION FINALE

Trois semaines plus tard, je pense à l’ombre qui se referme autour de ce setup. 
Cette architecture commerciale, cette emprise douce qui transforme la vape
en produit, le vapoteur en cible, le souffle en donnée. 

Les équipes des boutiques sont pieds et poings liés. 
Elles n’ont aucune marge de manœuvre. 
Leur gamme stagne, les nouveautés arrivent au compte-gouttes, l’offre peut rester figée des mois.
Le contact humain est une illusion : poser une question, c’est dérégler le flux, voler un temps qui n’est pas rentable. 
Ce visage n’est qu’une interface, un rouage de l’expérience client.
Et au-delà, c’est tout un écosystème artisanal qui suffoque. 

Moi, vapoteur toujours en quête de surprises, de propositions inédites, de créations singulières, je vois les petites marques étouffées par un système qui réplique la grande distribution. 

Les artisans, créateurs de liquides uniques, fabricants de matériel innovant, sont compressés, étranglés par des politiques de prix qu’ils ne peuvent tenir. 
Ils doivent se conformer ou disparaître.

Si les vapoteurs comme moi, curieux, exigeants, sont déclarés obsolètes, ces artisans le seront aussi. 
Nous sommes les deux faces d’une même culture, ceux qui cherchent, découvrent, encouragent l’innovation véritable.
Si nous disparaissons, le marché se réduira à quelques géants, redessinant l’offre par une sélection purement financière. 
La diversité, l’originalité, seront sacrifiées sur l’autel d’une expérience client rationalisée.

Une évidence me frappe.
Ce que nous avons vécu, nous les premiers vapoteurs, dans les vape-shops originels – cette émergence organique d’une pratique, cette variation infinie des usages, cette qualification progressive de l’expérience – n’était qu’un laboratoire à ciel ouvert. 
Nous avons été les cobayes volontaires d’une technologie, d’un écosystème qui se définissait en temps réel par nos erreurs, nos découvertes, nos enthousiasmes.
Pendant des années, nous avons exploré, appris, défini nos usages.
Nous avons maîtrisé des montages complexes, trouvé les équilibres subtils de nos setups, partagé nos savoirs dans une culture vivante de transmission. 
Nous avons créé les conditions d’une économie à croissance élevée.

 Mais cette culture que nous pensions bâtir, cette communauté que nous pensions animer, n’était qu’un prototype, un terrain d’essai grandeur nature.
Nous avons validé, modifié, orienté une pratique en gestation. 

Une fois le vocabulaire, la grammaire des usages, les standards matériels, les critères de qualité, les typologies de goûts définis, la séquence était complète. 

La grille était prête pour être modélisée, standardisée, industrialisée.
Notre culture exploratoire avait fourni tous les paramètres nécessaires à sa propre dissolution dans un marché de masse, capturé par un filet phygital.

En entrant dans cette boutique, j’ai su que j’étais un dinosaure, une relique. 
J’ai servi à mesurer, calibrer, fournir les critères pour une industrie qui me déclare désormais obsolète. 
Le prototype n’est plus nécessaire une fois la production lancée.

Mais ce setup, ce Shift et cette Ascent Lite, ce moment avec ce vendeur qui a osé sortir du script, c’est une brèche.
Une résistance. Une preuve que tout n’est pas verrouillé. 
Cet objet, porteur d’une authenticité narrative, me rappelle pourquoi je vape, pourquoi j’ai quitté la cigarette. 

La vape m’a donné une culture, une communauté, une capacité à ressentir, à goûter, à choisir. Elle m’a sauvé, mais plus encore : elle m’a éveillé.

C’est cela que je veux défendre.
Pas un produit.
Pas une marque.
Une liberté.

LE PROTOCOLE SMART
LA CAPTURE DE LA VAPE PAR L'INGÉNIERIE DU FLUX

Ces derniers mois, chaque signal observé dans mon environnement – boutiques, newsletters, influenceurs – m’a construit une grille de lecture : la vape bascule dans ce que j’appelle le Protocole SMART, une ingénierie comportementale qui aligne chaque maillon – fabricants, distributeurs, logisticiens, designers – pour rendre le système intégré, standardisé, pilotable. 

Ce n’est plus optimiser une expérience, c’est calibrer un comportement, connecter la vape à un écosystème d’assistance électronique généralisée, où le souffle devient une donnée, le geste une transaction dans un flux canalisé, linéaire, sans turbulence.

Tout s’est synchronisé.
Chaque acteur a réécrit ses offres, ses interfaces, ses parcours pour les rendre compatibles avec les réflexes d’un homme nouveau : l’individu SMART, façonné par quinze ans de scroll, de smartphones, de smartwatches, de smart homes, et noyé dans la saturation des réseaux, ce tsunami de contenus qui désensibilise l’esprit, réorchestre le réel, brouille la vérité.

Cet individu ne choisit plus, il valide ; il ne découvre plus, il consomme.

Mais derrière cette architecture visible se déploie un système plus profond, plus insidieux encore : le data-driven marketing. 
Cette approche, adoptée massivement par l’industrie, transforme chaque interaction en donnée exploitable.
Chaque geste, chaque clic, chaque transaction sur le site du distributeur enrichit une base de données invisible.
Chaque temps passé sur une page, chaque produit consulté mais non acheté, chaque panier abandonné devient une information stratégique. 

C’est cette architecture data-driven qui pilote les recommandations, ajuste les stocks, choisit les produits à mettre en avant. 

La vape d’aujourd’hui n’est plus seulement une interface : c’est un système d’extraction comportementale où chaque souffle devient une variable prédictive, où chaque achat alimente un modèle qui anticipe vos désirs avant même qu’ils ne se forment. 
Ce n’est plus seulement votre argent qu’on capture, c’est l’architecture même de vos choix, la cartographie de vos impulsions.

Ces dispositifs sont des régulateurs de flux, des calculateurs de comportements.
Ils observent, corrigent, préviennent, stabilisent.
Ils maintiennent l’utilisateur dans une zone de confort algorithmique, où tout est assisté, prévisible, sécurisé, une navigation sans écart.

La vape est devenue l’un d’eux, un protocole technologisé, une extension de cette architecture qui pilote les mobilités, les désirs, les gestes.
Son usage est passif, assisté, conforme, comme un GPS, un podomètre, un compte Amazon. 

Le vapoteur de demain sera pris en charge, guidé par des interfaces qui anticipent ses besoins, qui lui soufflent quoi vouloir. 
Il ne choisira pas, il confirmera. 
Il ne découvrira pas, il recevra, aligné dans un flux où l’exploration s’éteint.

Ce glissement marque l’entrée de la vape dans une ingénierie comportementale, où l’interface physique épouse les logiques du numérique : segmentation, personnalisation prédictive, cycles d’activation commerciale, normalisation de l’expérience. 

Ce que je vois, c’est un monde où la vape n’est plus une pratique, mais une variable contrôlée dans un flux optimisé, un rouage d’une machinerie qui aligne les âmes. 

Et la question devient : quelle intention se cache derrière ce système ? 
Quel sujet veut-il produire ? 

Un vapoteur qui explore, ou un utilisateur qui valide, un pion englué dans le même slop qui noie l’internaute ?

ÉPILOGUE
DE PÉKIN 2001 À L'ÉCRAN 2025

Je n’ai pas commencé ce récit par hasard. S’il débute en 2001, dans une ruelle de Pékin, c’est parce que tout était là : la douleur, l’invention, l’intention.

Hon Lik ne cherchait pas un marché.
Il portait un deuil.
Et de ce deuil, il a tiré une flamme, forgé un objet pour sauver, non pour vendre.
Et moi, vapoteur de 2025, je suis l’un de ceux qu’il a sauvés.

Mais ce que je vois aujourd’hui, c’est l’inverse de cette démarche.
Ce n’est plus la douleur qui guide l’innovation, c’est l’optimisation. 
Ce n’est plus l’intention qui précède le geste, c’est le calcul.

La vape glisse d’une culture d’affranchissement vers un dispositif de capture, un filet phygital qui emprunte ses logiques aux géants numériques. 

Elle se reconfigure comme un écosystème fermé, à l’image d’Apple : interfaces propriétaires, expériences prédéfinies, jardins murés où l’utilisateur confond liberté et choix balisé. 
Elle adopte les flux d’Amazon : rationalisation, centralisation, massification qui écrase l’inattendu. 
Le vapoteur devient un pion, façonné par les mêmes logiques qui emprisonnent l’internaute dans ce flux incessant de contre-sens qui réorchestre le réel, noie la vérité sous les écrans.

La vape de demain s’adresse au consommateur moderne, ce navigateur de mondes calibrés qui ne découvre plus, mais confirme, qui ne s’expose plus à la surprise, mais vérifie le réel contre ses projections. 

Ce que je redoute, c’est que la vape suive le chemin d’Internet.
En 2001, j’y ai cru : aux forums, aux savoirs partagés, aux voix qui s’élèvent. 
J’ai vu l’algorithme remplacer l’intention, le filtre étouffer la singularité, ma capacité à m’émerveiller s’émousser dans un réflexe conditionné.

Le vapoteur que je suis, curieux, exigeant, formé par l’exploration, est devenu marginal. 
On ne veut plus de lui. 
On veut un consommateur qui clique, qui répond aux nudges, qui achète au bon moment. 
On ne veut plus de découverte, mais de la docilité.

Et pourtant, je me souviens.
La vape m’a donné plus qu’une liberté.
Un appétit pour l’inconnu, une capacité à écouter mes sensations, à décrypter,
à m’approprier l’objet. 
J’ai appris un langage, une culture, un artisanat. 
J’ai appris à goûter, à comprendre, à exprimer.

Cette culture existe encore, mais elle est menacée, par la même logique qui a dévoré Internet, par la même promesse trahie d’horizontalité et de partage. 

Ce texte est un signal, une cartographie avant clôture. 
Je sais ce qu’un outil devient quand l’intention est pervertie. 
Je sais ce que vaut un souffle, un geste, né d’un chagrin.

Hon Lik ne m’a jamais connu, mais il m’a sauvé.
Aujourd’hui, je veux lui rendre ce souffle, dire que sa flamme brûle encore. 

Même dans l’ombre. 
Même encerclée. 
Même vacillante. 
Elle existe encore.

Jean-Fabien Leclanche

Spéciale dédicace à l'équipe du Petit Vapoteur à Quimper.
Des gars au Top.
Pros, impeccables et très humains.
D'authentiques passionnés également.
Ils sont une vraie chance pour l'enseigne.


⚠️ Le vapotage est une aide au sevrage tabagique. Ne vapotez pas si vous ne fumez pas. Le vapotage est une transition vers une vie sans tabac puis sans dépendance à la nicotine.